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Développer les Soins du Diabète en République Démocratique du Congo

Entretien Avec Alfred Kakisingi

Alfred Kakisingi
Alfred Kakisingi

Cofondateur et Directeur de l'Association des Diabétiques du Congo

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Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée mondiale de l’aide humanitaire, nous mettons en lumière le travail d’Alfred Kakisingi. Il nous raconte les débuts de son organisation, l’Association des Diabétiques du Congo (ADIC), le quotidien des personnes atteintes de diabète en République démocratique du Congo (RDC), et explique pourquoi le leadership local, la persévérance et la solidarité internationale sont essentiels pour fournir des soins là où les besoins sont le plus nécessaire.

Kakisingi est cofondateur et directeur d’ADIC, une organisation locale basée à Goma, en RDC, qui fournit des soins et un soutien vital aux personnes atteintes de diabète. ADIC est bénéficiaire d’une subvention du Fonds communautaire DT1 de Panorama Global, dont les bénéficiaires forment un réseau d’organisations communautaires au service des personnes et des familles touchées par le diabète de type 1 dans les pays à revenu faible et intermédiaire, grâce à un financement initial de Helmsley.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ADIC et comment votre vision a-t-elle évolué depuis ces premiers jours ?

L’idée d’ADIC ne m’est pas venue du jour au lendemain. Elle s’est construite au fil du temps, façonnée par des expériences inoubliables.

C’est vers l’année 1986 que j’ai vu un homme souffrir de complications liées au diabète, mais aucun médecin ne savait comment l’aider. Il a perdu sa jambe, puis la vie. Des années plus tard, la grand-mère de ma mère est décédée de la même maladie. Ces pertes m’ont marqué. Le tournant a eu lieu en 1998, lorsque j’ai regardé un reportage sur les agissements d’un médecin français. Je me souviens m’être demandé : si nous pouvons être indignés par les injustices dans des pays comme la France, pourquoi restons-nous silencieux sur le diabète ici en RDC ?

Avec quelques amis, dont certains atteints de diabète, j’ai commencé à en apprendre davantage sur cette maladie et ses défis quotidiens. J’ai réalisé que nous devions créer une association pour prévenir les souffrances et les pertes supplémentaires liées à cette maladie pourtant traitable. Ensemble, nous avons créé l’ADIC le 23 février 1999, en pleine guerre civile et instabilité politique.

Au début, nous n’avions rien d’autre que notre volonté et notre courage. Sans domicile fixe ni argent, nous nous retrouvions sous les arbres ou à l’observatoire volcanique de Goma. À l’époque, grâce aux dons des membres, nous achetions un flacon d’insuline dans les pharmacies locales et invitions les patients à en prélever une petite quantité pour se soigner, puis nous stockions ce qui restait sous terre dans des pots en argile. Notre simple présence nous a permis de gagner la confiance des gens.

Notre histoire est à l’image des personnes que nous servons, façonnées par la guerre, la pauvreté et les déplacements, mais aussi par la résilience. Depuis le début, notre mission est claire : rassembler les personnes atteintes de diabète en RDC, leur donner les moyens de gérer leur santé et veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte.

l'Association des Diabétiques du Congo's clinic in Goma, Democratic Republic of Congo

Clinique de l’Association des Diabétiques du Congo à Goma, République démocratique du Congo

Aujourd’hui, ADIC soutient des milliers de personnes en RDC. À quoi ressemble leur quotidien et comment ADIC les aide-t-elle à relever les défis auxquels elles sont confrontées ?

Jusqu’en 2024, nous accompagnons 5 789 personnes atteintes de diabète. Parmi elles, 1 966 adultes atteints de diabète de type 1 et 128 jeunes de moins de 30 ans. Les autres sont des adultes atteints de diabète de type 2.

Pour les jeunes, le quotidien est particulièrement difficile. Ils sont confrontés à un combat constant et silencieux : de multiples injections d’insuline quotidiennes, un suivi régulier de la glycémie, une alimentation irrégulière et souvent insuffisante, et une stigmatisation fréquente. De nombreuses familles manquent de moyens financiers, ce qui affecte tous les aspects de la vie, de l’accès aux soins à la sécurité alimentaire.

L’ADIC intervient pour apporter un soutien essentiel. Nous distribuons de l’insuline, des glucomètres et du matériel de dépistage. Nous proposons un accompagnement psychologique, organisons des ateliers éducatifs et soutenons des groupes de pairs. Nous menons également des campagnes radio pour sensibiliser et accompagner les familles et les écoles. Notre équipe comprend des professionnels qualifiés et des leaders communautaires qui aident les jeunes à se préparer aux situations d’urgence, telles que les déplacements soudains ou les catastrophes naturelles.

L’ADIC forme également les professionnels de santé, leur permettant ainsi de gérer le diabète dans toute la région. Notre approche holistique vise non seulement à traiter les patients, mais aussi à leur donner les moyens de vivre en meilleure santé et avec plus de résilience.

 

ADIC intervient dans des conditions exceptionnelles, des catastrophes naturelles aux conflits armés. Comment ADIC se prépare-t-elle aux différents types d’urgences et quelles stratégies vous permettent de fournir des soins continus en temps de crise ? 

Fondée en temps de guerre, l’ADIC continue d’opérer dans une région souvent touchée par les conflits, les catastrophes naturelles et la pauvreté généralisée. Ce contexte exige de nous une approche proactive, adaptative et résiliente. Notre approche comprend une planification détaillée des mesures d’urgence, la constitution de stocks de médicaments d’urgence et la collaboration avec des partenaires locaux pour garantir une intervention rapide en cas de crise.

Nous avons appris à décentraliser les soins en formant des prestataires dans des zones reculées comme Minova, Fizi, Rutshuru, Walikale et Bunia. Lorsque les patients sont déplacés, nous utilisons des moyens mobiles, notamment des motos, pour livrer l’insuline et les fournitures. Nous maintenons également le contact avec les patients par téléphone et via des applications de messagerie.

Lors des éruptions du volcan Nyiragongo de 2002 et 2021, ainsi que lors d’urgences de santé publique comme Ebola, la COVID-19 et la variole, nous nous sommes rapidement mobilisés pour distribuer de la nourriture, des médicaments et des kits d’hygiène, et garantir le suivi des soins à nos patients. Nous avons également construit un nouveau centre de formation avec le soutien de partenaires comme Direct Relief et Insulin zum Leben. Lors des fermetures de frontières, nous avons soutenu les patients bloqués du Rwanda et du Mozambique, ainsi que le personnel des Nations Unies.

La continuité des soins ne se résume pas à la disponibilité des fournitures ; il s’agit d’être présent, préparé et profondément ancré dans la communauté. C’est ce qui nous a permis d’intervenir efficacement, même dans les moments les plus difficiles.

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Notre histoire est à l'image des personnes que nous servons, façonnées par la guerre, la pauvreté et les déplacements, mais aussi par la résilience.

Comment les partenariats et le soutien externe ont-ils renforcé l’ADIC ? Quels changements politiques amélioreraient le plus la vie des personnes atteintes de diabète de type 1 en RDC ?

Les partenariats ont été le pilier de la croissance d’ADIC. Dès ses débuts, le soutien d’organisations comme FAND Italie a contribué à façonner notre structure et nous a fourni des médicaments essentiels, des financements et du matériel pédagogique. Depuis, nous avons collaboré avec des partenaires généreux, notamment Insulin zum Leben (Allemagne et Autriche), Direct Relief (États-Unis), Insulin for Life (Australie et États-Unis), Life for a Child (Australie), l’ambassade de Belgique, le Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets et le T1D Community Fund avec Panorama Global (États-Unis).

Ces partenariats nous ont permis d’élargir l’accès aux soins, d’améliorer le stockage grâce à des réfrigérateurs solaires et d’assurer un approvisionnement régulier en fournitures essentielles. Ils soutiennent également la formation du personnel et des jeunes, notamment par l’organisation de camps d’été et de programmes de formation professionnelle pour les adolescents atteints de diabète de type 1. Même en période de conflit, ces partenariats sont restés inébranlables.

Nous collaborons également avec des organisations locales et régionales, notamment l’Association rwandaise du diabète, Vaincre le Diabète à Kinshasa et Aide Vision Goma pour les examens de la vue des patients. Ces relations nous permettent d’accroître notre impact, de renforcer les systèmes de santé et de proposer des soins holistiques.

Sans nos partenaires, l’ADIC ne pourrait tout simplement pas exister à l’échelle et avec la profondeur qu’elle connaît aujourd’hui. Nous leur sommes profondément reconnaissants de leur confiance et de leur engagement à long terme pour améliorer la vie des personnes atteintes de diabète en RDC.

 

Malgré tous les défis, vous affirmez garder espoir. Qu’est-ce qui nourrit cet espoir ? Quel avenir envisagez-vous pour les personnes atteintes de diabète en RDC ?

Ce qui nous donne de l’espoir, c’est la résilience de nos patients et l’engagement de notre équipe. Nombre de nos collaborateurs sont à nos côtés depuis la création de l’ADIC, ce qui témoigne de leur profond dévouement. Chaque fois que nous voyons un jeune retrouver force et confiance, ou qu’une famille trouver du réconfort dans un accès fiable à l’insuline, nous nous rappelons l’importance de ce travail.

Nous envisageons de faire de l’ADIC un pôle régional de prise en charge globale du diabète. Nous souhaitons étendre nos services à l’hospitalisation, au diagnostic et à un laboratoire entièrement équipé. Nous souhaitons également amplifier notre sensibilisation par des campagnes d’intérêt public, notamment par la radio pour atteindre les communautés isolées. Nous espérons voir le rôle essentiel des organisations locales comme la nôtre dans les systèmes de santé mieux reconnu.

Pour concrétiser cette vision, nous avons besoin d’investissements continus, dans les fournitures, l’équipement, la formation et la sensibilisation. Mais surtout, nous devons convaincre les gens qu’une personne diabétique en RDC mérite les mêmes soins et la même dignité que n’importe qui, où qu’elle soit. Cette conviction, partagée par nos partenaires et notre communauté, est notre moteur quotidien.